lundi 6 juillet 2009

Définition d’un classique

Un classique est essentiellement un livre qui demeure ouvert, dans ce sens qu’il se prête constamment à de nouveaux développements et commentaires, à des interprétations différentes, à des prolongements inattendus. Avec le passage du temps, ces gloses s’accumulent en couches successives comme les alluvions d’un fleuve. [...] D’une certaine façon, dans un classique, la capacité qu’a chaque propos d’attirer et de retenir les commentaires de la postérité pourrait se comparer à la fonction que remplissent les patères sur le mur d’un vestiaire. Les usagers successifs du vestiaire viennent y accrocher leurs chapeaux, leurs manteaux, leurs sacs et leurs parapluies. Le chargement s’enfle, et les crochets finissent par disparaître sous leur fardeau hétéroclite. Pour le lecteur indigène, le classique est devenu un riche encombrement, un fouillis bariolé, une cohue, un carrefour où l’on a de la peine à circuler, une bruyante polyphonie, un foisonnement de souvenirs et d’échos. Pour le lecteur étranger, au contraire, le classique présente le plus souvent l’aspect du vestiaire après l’heure de fermeture : un lieu désert et silencieux, un alignement de crochets nus sur un mur vide.

Simon Leys, L’ange et le cachalot, Paris, Seuil, 1998, p. 15.

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